La Nymphe Galatée

 

La nymphe Galatée de Raphaël
Vers 1512-1514, fresque, 295 x 225 cm
Rome, Villa Farnesina.

Après plusieurs années de séjour à Florence, Raphaël se rendit à Rome. Il y arriva sans doute en 1508, à l’époque où Michel-Ange commençait le plafond de la chapelle Sixtine. Bientôt Jules II lui confia la décoration de plusieurs chambres du vatican. Dans ces salles – stanze, d’où la dénomination de « stances » - , Raphaël peignit toute une série de fresques d’une très haute maîtrise. On ne peut pleinement saisir toute la beauté de ces ouvrages que si l’on sur place dans leur ensemble à la fois harmonieux et divers, où formes et mouvements s’équilibrent et se répondent. Hors de leurs cadres et à échelle réduite, ces compositions ont quelque chose de froid et chacune de leurs figures, impressionnante en grandeur naturelle, tend, dans une reproduction à se perdre dans l’ordonnance des groupements. Par contre, un détail de figure isolé de son contexte, s’il retrouve sa puissance expressive, perd une de ses fonctions essentielles celle de jouer sa partie dans l’harmonie de l’ensemble.
Cela frappe moins dans une fresque de dimensions plus réduites que Raphaël exécuta dans la villa d’un riche banquier romain, Agostino Chigi (on la nomme aujourd’hui la Farnésine). Le sujet est emprunté à un poème du Florentin Ange Politin, auquel déjà Botticelli avait pensé en peignant sa Naissance de Vénus.

Ces vers évoquent le géant Polyphème essayant de séduire par son chant la belle nymphe Galatée qui, dans une conque tirée par deux dauphins, vogue sur les eaux, riant du chanteur malhabile. La fresque de Raphaël nous montre Galatée parmi sa joyeuse suite de divinités marines. Le géant devait être représenté sur une autre paroi de la salle. On ne cesse de découvrir des beautés nouvelles dans la composition si complexe de cette ravissante peinture dont les figures se répondent subtilement et où chaque mouvement appelle l’écho d’un contre-mouvement. Des trois amours qui visent Galatée de leurs flèches, celui de gauche balance exactement celui de droite, tandis que le troisième est balancé par le petit génie qui nage à côté des dauphins. De même, au triton qui, à gauche, souffle dans une conque, répond, à droite, un joueur de trompette ; au couple enlacé du premier plan fait écho, un peu plus loin, vers la droite, un autre couple marin. Mais l’effet le plus admirable est donné par la figure centrale qui reprend, et en quelque sorte résume, les mouvements des différents personnages. Son char avance de gauche à droite et son voile flotte derrière elle, mais elle se retourne et sourit à l’étrange à l’étrange mélodie. Et toutes les lignes de la composition -flèches, rênes, gestes, axes des corps- convergent vers son beau visage, au centre exact de la composition .
Par ces artifices, Raphaël a réussi à animer tout son tableau sans compromettre en rien son équilibre tranquille. C’est pour cette maîtrise inégalée dans l’agencement des figures, pour son étonnante science de la composition que Raphaël n’a jamais cessé d’être admiré. Michel-Ange est parvenu à la plus haute expression du corps humain ; Raphaël a atteint ce que la génération précédente avait recherché avec tant de peine : disposer en une harmonie parfaite des figures aux mouvements aisés.
Autre chose encore chez Raphaël a suscité une admiration constante : la pure beauté de ses figures. Après l’achèvement de la Galatée, un courtisan demanda à Raphaël où il avait pu trouver un si beau modèle. Il répondit qu’il n’avait pas copié les traits d’un modèle déterminé, mais plutôt qu’il avait suivit « une certaine idée » qu’il s’était faite de son esprit. Dans une certaine mesure, Raphaël, comme son maître Pérugin, ne s’attachait pas à cette imitation fidèle de la nature à quoi visaient la plupart des peintres du Quattrocento. Il avait élaboré un certain type de beauté régulière. Au temps de Praxitèle, une beauté «  idéale » était née d’un long effort pour rapprocher de la nature les formes abstraites. Maintenant les choses se passent en sens inverse. Les artistes s’efforcent de modifier la nature suivant l’idée qu’ils se sont faite de la beauté en contemplant les statues antiques : ils  « idéalisent » le modèle. Tendance qui n’est pas sans danger, car si l’artiste raffine délibérément sur la nature, son œuvre sera facilement maniérée et risquera de manquer d’expression. Chez Raphaël, en tout cas, cette recherche idéale ne compromettait jamais la vie et la fraîcheur de l’œuvre. Il n’y a rien d’abstrait ni de tendu dans le charme de Galatée. C’est une créature d’un monde de beauté radieuse : le monde de l’art classique né, au XVIe siècle, du génie italien.